La Bible contre l'Héroïne (Myanmar) Portfolio
Janvier 2016 - janvier 2018
Au Nord du Myanmar, dans l’Etat Kachin, une milice religieuse, les « Pat Jasan », tente de juguler la production et la consommation massives d’opium et d’héroïne. Ces civils, soutenus par les Eglises chrétiennes locales et la Kachin Independence Organisation, détruisent les champs d’opium et arrêtent consommateurs et dealers, qui sont ensuite envoyés dans des camps de réhabilitation où l’enseignement de la Bible fait figure de traitement.
La lutte contre la drogue révèle les fractures ethniques, politiques et militaires de l’Etat Kachin. L’importante consommation d’opium et d’héroïne, conjuguée à une réponse gouvernementale localement très critiquée, a conduit à la création d’une milice anti-drogue, les Pat Jasan. Le mouvement fut d’abord lancé en 2010 par la Kachin Independence Organisation (KIO) dans les territoires qu’elle administre. La KIO lutte depuis 1961 contre le gouvernement central birman pour l’indépendance de l’Etat Kachin. Avec l’appui de la KIO et des Eglises chrétiennes locales, les Pat Jasan ont étendu en 2014 leurs actions aux zones contrôlées par les autorités birmanes.
Les Pat Jasan, dont le nom signifie «Empêcher et Détruire» en Kachin, organisent des patrouilles pour arrêter les consommateurs de drogues, qui sont envoyés pour plusieurs mois dans des camps religieux de détention et de réhabilitation. Sur place, l’étude de la Bible est censée désintoxiquer les détenus-étudiants. Les Pat Jasan refusent d’utiliser la méthadone, un opioïde de synthèse proposé comme substitut à l’héroïne dans les rares centres du gouvernement : la parole de Dieu doit suffire. A leur sortie, certains anciens «détenus-étudiants» deviennent Pat Jasan et participent bénévolement aux activités du groupe. Ces reconversions ont pour effet de pacifier les relations entre gardiens et toxicomanes dans les camps. Des milliers d’individus seraient passés par ces camps depuis leur création.
La milice mène aussi des opérations coup-de-poing pour éradiquer les champs d’opium. Plus de 4000 acres auraient déjà été détruits. Ce volet de leurs actions crée d’importantes tensions avec le gouvernement central birman. En effet, certains champs sont défendus par des groupes armés de cultivateurs qui sont, selon certains Pat Jasan, soutenus par des forces gouvernementales auxiliaires, les Border Guard Forces. De son côté, le bras armé de la KIO, la Kachin Independence Army (KIA), soutient l’action des Pat Jasan et aurait supprimé la production d’opium dans les territoires qu’elle contrôle. La KIA a repris en 2011 sa lutte armée contre l’armée birmane. La question de l’opium jouera un rôle important dans la résolution d’un conflit vieux de plus de cinquante ans.